Le festival de Blum

Tana n'aimait pas du tout la façon dont la situation évoluait. Quelque-part au fond d'elle, la gnomide était irritée par le manque de soin que Le Directeur avait apporté à son aéronef. Un tel bâtiment n'aurait pas dû tomber en pièces détachées au premier banc de cloaquants venu. Le Théatre n'avait pas été conçu pour être particulièrement robuste. Cela, elle s'en rendait bien compte. Malgré tout, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser que le capitaine avait fait des économies sur la quincaillerie ces derniers mois.

Toutes considérations gardées quant à l'origine de leurs problèmes, Cacahuète décida qu'elle n'allait pas se laisser démonter. Dans un premier temps, elle souhaita apprendre à quelle sauce Eana les mangerait dans les prochaines heures. Ce que l'ingénieur avait cafouillé à la fin de ses explications la turlupinait au plus haut point. Elle tenta sa chance auprès du capitaine, parlant vite afin de ne pas perdre une seconde inutilement.

- Les dégâts sont pires que prévus et c'est fâcheux, très fâcheux. Si Findbindle dit que la machinerie a perdu les éléments essentiels au maintient de ce vaisseau dans l'éther, j'en déduis qu'il a envisagé et rejeté la possibilité que qui que ce soit à bord puisse l'aider à effectuer les réparations dans des délais acceptables. Cela comprend forcément ma petite personne, du haut de mes maigres connaissances en mécanique azuréenne. L'atterrissage étant forcé, autant mettre toutes les chances de notre côté pour qu'il se passe avec un minimum de douleur.

Tana prit une courte inspiration et se planta face à Le Directeur du haut de ses nonante centimètres.

- Je compte aider. Si nécessaire, je me porte volontaire pour amortir la chute de dix personnes, moi comprise. Avant cela, je souhaiterais qu'on me fournisse les renseignements essentiels au bon déroulement des opérations. Nous sommes entre nous, le temps n'est pas aux cachotteries et mon petit doigt me dit que l'information sera disponible à tous dans un délai plus court que vous ne l'espérez de toute façon. Cette connaissance me permettra par ailleurs d'agir au mieux de nos intérêts communs. Sur ce... quel est exactement le contenu de notre cargaison ?

Le regard argenté de la magicienne défia son vis-à-vis de rejeter sa requête. Elle respirait intensément pour reprendre son souffle.

Bah, chacun a ses secrets on dirait.

Cette pensée avait un côté rassurant pour la jeune femme, qui se sentit subitement moins loin de la ville et de ses intrigues. Machinalement, elle nota les paroles qu’elle avait entendu dans un coin de sa mémoire.

Qui était ce Diégo ? Était-ce un passager ou un membre de l’équipage ?

Ce nom ne lui disait rien.

Mais surtout, qui ou quoi ne devait-on pas réveiller ?

Cette pensée, sur ce navire bringuebalant entre ciel et terre, était quant à elle tout à fait dérangeante. Elle décida qu’elle surveillerait discrètement Topaze et Glatus, tout en se disant que c’était sans doute peine perdue. Si ces deux-là tramaient quelque chose, probablement tout l’équipage serait de mèche.

Presque involontairement, son esprit continua à se perdre en conjectures.

Où cacherait-elle quelque chose ? La cale ? Les quartiers ?

Elle soupira. Trop d’endroits lui étaient interdits sur l’aéronef navire pour qu’elle puisse deviner quoi que ce soit. Son regard se posa sur les différentes personnes sur le pont. Qui d’entre eux pourrait être Diégo ? Probablement un humain, vu la consonnance du nom. Peut-être un halfelin ou un demi-elfe. Ces conclusions incertaines lui arrachèrent un second soupir.

Le plus simple était sans doute de procéder au petit bonheur la chance, ainsi se dirigea-t-elle vers un guerrier en armure qui était en train de contempler les dégâts sans s’atteler lui-même à la tâche.

- « Plutôt sinistre, pas vrai ? » Lança-t-elle en guise de préambule à Miran.

Grenat avait bien fait de s'accrocher. Comme une mauvaise habitude, Le Théâtre fut prit de soubresauts de bien mauvaise augure.
La drakeïde maudit intérieurement, et peut-être un peu extérieurement, l'appareil en se débattant avec le cordage pour se remettre debout. Se tenir au bord etait décidément dangereux sur ce maudit rafiot. Alors, Grenat rejoignit le chevalier à pas hésitant.
Elle arriva au moment où Kerri engageait la conversation avec lui...

- Qu'est-ce qui est sinistre ? Demanda-t-elle, visiblement pas gênée de se mêler d'une conversation où elle n'avait pas été invitée.

Miran était bien circonspect sur la situation. Ils avaient beau avoir pris les armes et eu les félicitations du Directeur, il n'en restait pas moins que le Théâtre n'allait pas bien. Il y avait tellement de fumée blanche que l'aéronef pouvait créer un nouveau nuage ou même dessiner dans le ciel... Le guerrier était sûr que ce n'était qu'une question de temps avant que cela n'empire...

De plus, avoir double ration était un engagement un peu rapide car il y avait de grandes chances que cela soit plutôt demi-ration vu le saccage effectué par le banc... Cela voulait dire que celui qui n'aurait pas à manger ne serait pas Diégo mais bien lui. Il ne voulait pas revenir sur sa parole. C'est donc avec dépit qu'il se parla à lui même n'ayant pas vu arrivé les deux dames.

- "Arf quel chanceux ce Diégo d'être tombé sur moi".

La 1ere question des deux nouvelles convives fit sortir l'homme d'arme de ses pensées sur le sujet.

- "Effectivement, je pense que ce n'est que le commencement de bien pire. J'aurais bien aimé faire plus pour éviter tout ce carnage mais mon manque d'expérience sur un terrain mouvant a été mon malheur. Je dois dire que vous avez été bien plus efficace que moi Grenat... Mais d'ailleurs à qui ai-je l'honneur ? Pour ma part je me nomme Miran".

Le guerrier avait bien compris que l'humaine cherchait à discuter et que ce n'était qu'une phrase d'accroche. C'était peut être sa façon d'évacuer le stress de la situation. Il en profita donc pour lui emboiter le pas en renchérissant avec une question tout en saluant les compétences de la drakéide et rangeant son arme à sa ceinture.

Difficile pour Tana de sonder ce que Le Directeur pensait, ses prunelles assombries par le buisson de ses sourcils. Mais il pensait, c'était certain : il ne parlait plus et son expression -quoique théâtrale- était figée, ce qui ne lui ressemblait pas. Elle l'avait déjà assez fréquenté pour être sûre d'une chose : il réfléchissait très très fort. C'est un soubresaut violent qui le tira de ses pensées et son expression était grave quand il reprit parole.

- Gardez cela pour vous. Notre cargaison peut... disons... Exploser si on l'agite. Nous devons nous en débarrasser...

Il écarta la magicienne doucement en posant son immense paume sur son épaule, qu'il tapota gentiment.

-Merci pour cette proposition. Faisons en sorte de ne pas avoir à nous jeter en vol...

Puis il allongea de longues foulées en direction des cabines des passagers, hurlant d'une voix assez puissante pour vibrer sur tout Le Théâtre au passage :

- ALTITUDE A 60 PIEDS, VITESSE DE 6 NOEUDS ! GLATUS, DIS A TES GARS DE VENIR EN CALE DANS DIX MINUTES !

« Les gars » de Glatus étaient pour la plupart en train de discuter sur le pont. Le demi-orc étant à proximité, il se contenta d'incliner la tête dans leur direction pour s'assurer qu'ils avaient bien entendu, avant de continuer son ménage plus rapidement encore. Bientôt, Jill prit sa relève et Glatus courra rejoindre son capitaine.

L'idée de voyager sur un rafiot à deux doigts de s'écraser et contenant une quantité conséquente d'explosifs n'enchantait guère Tana Castamyr. Lors de son arrivée sur Le Théatre, elle avait identifié neuf caisses particulièrement bien harnachées et s'était fait la remarque que leur contenu devait être fragile et précieux. Au vu de l'inquiétude du capitaine, il valait mieux ne pas traîner dans les cales au moment de l'atterrissage, à moins de s'être débarrassé de la cargaison gênante au préalable.

Cacahuète jeta un dernier coup d'œil dans le trou par lequel avait disparu Findbindle.

- Je vais voir en haut si peux me rendre utile. Si tu as besoin d'une rétameuse ou de petites mains pour t'aider à retaper ta machine, tu cries.

Comme la fumée continuait de s'échapper par la trappe au plafond, elle ajouta.

- Je laisse ouvert en sortant.

Passant par la salle de repos, la gnomide mémorisa l'emplacement des caisses suspectes tout en s'avisant qu'aucune d'entre elles n'était collée à sa propre chambre. Son sac à dos était rangé côté porte, mais elle n'avait aucune idée de l'intensité que pourrait atteindre une quelconque explosion.

On n'est jamais trop prudent...

En remontant l'escalier, elle envoya un message télépathique à sa fidèle compagne de voyage.

- Tikki, on va sûrement devoir poser Le Théatre plus tôt que prévu. Va voir devant si tu trouves une zone assez grande et plate pour y effectuer un atterrissage forcé... avec de la terre meuble de préférence.

Sur ce, Tana rejoignit le petit monde réunit sur le pont.

On dirait que la chance lui souriait, l'homme en face d'elle venait de mentionner ce fameux Diégo. Dans ses oreilles résonnait encore le cri du Directeur. Dans 10 minutes, dans la cale. C'était donc là que se trouvait probablement « la chose à ne pas réveiller ». Kerri reporta son attention sur le guerrier. Quelques secondes venaient de s'écouler depuis la question, et elle devait sembler un peu perdue.

- « Heu Kerri. Kerri Ashdown » s'empressa-t-elle de répondre, légèrement confuse.
Son regard se posa tour à tour sur l'humain et la drakéide. Ils semblaient se connaître. « Enchantée », ajouta-t-elle avec un sourire espiègle, espérant éclipser son égarement.
« Et bien... Ces embardées, ma chère. Cette fumée. Ces trous, la haut», puisuivit-elle pour répondre à la drakéide, et elle ponctua ces derniers mots d'un geste vague vers les voiles et les cordages qui s'étendaient au-dessus d'eux.

Comme elle prononçait ces mots, une gnomide se dirigeait vers eux. Kerri songea « équipage ou passager ? » Elle se demanda fugacement si c'était justifié d'être à ce point sur le qui-vive, mais elle chassa aussi rapidement ce doute. De façon générale, elle devait sa survie à sa méfiance. Et visiblement, l'équipage leur cachait des choses.

Le temps pressait. Elle dut lever la tête pour regarder Miran dans les yeux.

-« Vous avez mentionné un certain Diégo ? J'aimerais lui parler.»

Elle remarqua furtivement que contrairement à elle, Miran exhibait à son côté une arme. Elle se maudit intérieurement d'avoir déposé sa rapière et espéra que la situation avec ce Diégo ne dégénérerait pas. Le poids familier de ses dagues dissimulées dans ses vêtements la rassurait néanmoins.

Le guerrier acquiesça lorsque l'humaine se présenta, comme pour remercier d'avoir accéder à sa requête. Il fût cependant surpris de voir que malgré tout ce qui se passait qui pouvait gravement nuire à leur survie, son seul souhait était de rencontrer un homme qui visiblement n'avait rien de spécial. Après il fallait replacer dans le contexte que Diégo lui était inconnu, il lui était donc impossible pour elle de savoir qu'il ne pourrait sauver quiconque de cette situation catastrophique. Il bredouilla dans sa réponse.

- "Heu, heu, oui... Je peux vous amener à lui. Je ne le connais pas personnellement, ce n'est qu'un occupant de la cabine que j'occupe mais je doute qu'il puisse nous sortir du pétrain. Puis-je savoir ce qui vous motive à le rencontrer ?"

Sur ces mots, l'homme d'arme hocha de la tête pour enjouer ces deux dames à le suivre jusqu'à sa cabine, même s'il savait que Grenat connaissait le chemin. Il voulait juste pouvoir continuer à discuter avec tout le monde et ne pas laisser la drakéide seul sur le pont.

Grenat hésitait entre la panique, car il était bien question d'une chute mortelle avec tout ce fatra qui leur permettait encore - pour le moment - de s'affranchir de la pesanteur, et l'incompréhension.
Pourquoi cherchaient-ils ce Diego ? Avait-il le moyen de les empêcher de s'écraser ? Après tout pourquoi pas ! Mais si un tel prodige était avec eux, pourquoi n'était-il pas intervenu plus tôt pour leur éviter un tel drame ?

Ainsi, silencieuse en extérieur, Grenat suivit le groupe sans un mot... alors que son esprit tournait en tout sens...

Tikki s'en alla sur l'ordre de sa maîtresse avec docilité. Elle n'était pas capable de trouver un tel endroit un en claquement de doigts, mais sa vue portait loin et la nuit tombant, elle serait à l'aise pour effectuer rapidement un aller retour.

Pendant ce temps, le quator passait sous le pont pour entrer dans la salle principale. Leur conversation était discrète et au milieu du ronronnement de la bête qu'était Le Théâtre, leur approche même en groupe passait plutôt inaperçue, côté auditif.

Alors que, guidés par Miran, ils approchaient de la cabine, un éclat de voix s'échappa. C'était Le Directeur qui n'avait pas réussi à masquer totalement son timbre puissant. Il était clair pourtant qu'il n'avait pas eu l'intention de crier et Tana savait pour l'avoir fréquenté un moment qu'il avait l'intonation des jours de secret. Voilà peu ou prou ce que le groupe décrypta à travers la porte, à quelques mètres de la cabine :

- ...sait que … des années de travail ! … notre vie ! … pas se permettre... raisonnable.

Ce à quoi répondit un silence. Pour en savoir plus, il faudrait s'avancer dans le couloir, devant la porte et prendre le risque d'être entendu, vu, auquel cas les occupants de la cabine sauraient qu'ils avaient été écoutés. Ils pouvaient également décider d'entrer avec naturel pour s'enquérir de la situation. Après tout ,n'avaient-il pas le droit de savoir ?

Tana était initialement montée sur le pont afin d'inspecter les dégâts et de déterminer ce qui nécessitait une réparation d'urgence. Avec un peu de chance, ses outils auraient pu sortir de leur étui ou elle aurait pu occuper son esprit à une tâche quelconque au lieu d'attendre impatiemment des nouvelles de Tikki.

Le regard expert de la gnomide la rassura quelque peu sur l'état du vaisseau mais balaya ses espoirs de se rendre utile dans la zone. En dehors de la voilure elle-même, il n'y avait pas grand chose d’abîmé. Les ballons, voiles et hélices étaient trop nombreux pour que la défaillance de l'un entraîne la perte du Le Théatre. Cacahuète repéra certaines modifications à apporter ici et là pour permettre aux cordages et voiles de coulisser mieux et quelques parties usées. Cependant, ces réparations nécessiteraient de démonter une grande partie de l'enchevêtrement de cordages ambiant. Ce n'était pas une opération que l'ont souhaiterait accomplir en plein vol. Elle se contenta de les mémoriser pour plus tard.

Et voilà soudain que Tana se retrouvait entraînée par un flot de passagers en route pour les cales. Elle n'avait pas encore fait leur connaissance et ne comprenait rien à leur conversation. Il était question de rencontrer un certain Diego, lui aussi inconnu au bataillon, comme s'il pouvait résoudre des problèmes que le groupe n'était même pas sensé appréhender. Après tout, aucun d'eux n'était présent dans la salle des machines. Ils ne devaient donc avoir connaissance ni de leur défaillance ni de la présence d'explosifs à bord de l'aéronef.

Peut-être était-ce la curiosité ou la frustration de n'y plus rien comprendre qui poussa Tana à suivre le groupe pour le moins éclectique. Les événements s'enchaînaient à une vitesse que son esprit foncièrement analytique ne pouvait suivre. Sa formation lui criait d’exécrer cette situation, mais une étincelle au fond d'elle allait à contre-courant de ses pensées conscientes. Dans un certain sens, cela faisait longtemps que la gnomide n'avait pas eu autant d'action. Après le banc de cloaquants, toute cette agitation lui évoquait son enfance. Au final, la téléportation malheureuse d'un cloaquant en plein sur les machines n'était qu'un vilain coup du destin brisant la monotonie du voyage. Qui sait, peut-être en plaisanteraient-ils tous une fois le voyage achevé.

Arrivée en bas, Cacahuète acquis plusieurs renseignements qu'elle n'aurait pas voulu manquer. Premièrement et comme elle s'en doutait déjà, Le Directeur lui cachait encore et toujours des informations cruciales. Deuxièmement, le fameux Diégo était son associé dans une quelconque combine. Tout cela était probablement lié aux caisses que Tana avait déjà identifié.

Son devoir grondait intérieurement des imprécations la poussant à endiguer les efforts des passagers visant à se mettre au parfum de la situation. De nouveau cependant, une force invisible allait à son encontre et la cloua sur place, incapable d'agir. Aux tréfonds de son être, Cacahuète n'aimait que les secrets dont elle était informée.

Ils étaient arrivés semble-t-il. Pourtant, au lieu de rentrer directement dans la cabine pour s'enquérir du fameux Diego, tous se figèrent en entendant Le Directeur parler...
Il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'il s'agissait du fameux homme qu'ils cherchaient !
Concernant les paroles qu'ils entendirent, la drakeide ne savait pas trop ce qu'elle devait en penser. Instinctivement, elle n'aimait néanmoins pas l'idée que sa vie dépendent de personnes qui cultivaient les secrets, qui plus est, liés à sa survie !

Alors, elle s'avança sans hésiter et ouvrit la porte, quitte à tomber directement sur Le Directeur. Se faisant :

- Diego ? C'est bien ici ? Appela-t-elle pour s'annoncer.

Attendant le meilleur moment pour faire une entrée théâtrale, Kerri se fit prendre de vitesse par Grenat. Son attitude simple et décidée, allant de pair avec sa carrure, forçait le respect et Kerri décida que ça n'était pas plus mal de la laisser prendre les choses en mains. Elle ferait forte impression. La jeune femme se contenta de se glisser silencieusement derrière sa comparse de fortune, balayant du regard la pièce étriquée.

Grenat ouvrant la porte, les passagers se trouvèrent face à Diégo, conversant avec Le Directeur. Ces deux derniers s'étaient interrompus et observaient avec un mélange de surprise et de curiosité les nouveaux arrivants.

- Oui ?

C'était une voix assez douce, discrète, chargée d'inquiétude. Alors que le jeune homme brun avait reculé d'un pas dans la minuscule cabine qu'il occupait avec Miran, Le Directeur s'était interposé, son large corps faisant barrage entre la petite troupe et son interlocuteur.

- Voilà une compagnie bien large pour venir parler à mon ami ! Un problème urgent, chers amis ? Nous étions en pleine conversation... Mais vous ne l'ignoriez pas, n'est-ce pas ?

Il jeta un regard éloquent à Tana, un regard presque... Menaçant ? Contre toute attente et malgré les nombreuses interrogations qui agitaient le quator : c'était lui qui attendait des explications.

Sa stature naturellement imposante, Grenat fit face aux occupants de la cabine.
Elle ouvrit la bouche... pour la refermer aussitot, consciente de ne pas vraiment savoir pourquoi elle se trouvait là. D'ailleurs, alors que son frêle interlocuteur s'effaçait discrètement, Le Directeur ne se trompa pas et son regard dévia rapidement vers les autres derrière elle.
Son ton changea, car il n'avait pas apprécié d'être interrompu, voir espionné.

Mais la drakeïde avait l'image de leur esquif s'écrasant au milieu des arbres bien trop présente à l'esprit pour les laisser faire la conversation. Elle enchaîna donc du tac au tac.

- Monsieur Le Directeur, si j'ai bien suivit les échanges des autres passagers, votre ami ici présent détient des informations pour nous éviter une mort certaine !

Elle fixait l'homme, un mélange de détermination et d'appréhension lisible sur elle.

- Monsieur ! Est-ce vrai que nous allons nous écraser ?

Le regard de désapprobation que lui lança Le Directeur ne surprit pas Cacahuète outre mesure. Elle ne put lui répondre que par un haussement d'épaules impuissant et un air désolé.

Il était bien sûr naturel pour lui de soupçonner qu'elle était partiellement coupable de la situation, de par sa simple présence dans le groupe de contestataires. Elle aurait pu être l'instigatrice de ce coup d'état en miniature. Peut-être aurait-elle pu faire quelque-chose pour embrayer la machine. Le capitaine du vaisseau pouvait imaginer plusieurs scenarii où Tana aurait été coupable de trahison, du moins partiellement.

Même sans son instant d'hésitation, qui n'avait duré que quelques secondes, la gnomide ne pensait pas qu'elle aurait pu agir pour rattraper la situation. C'est pourquoi elle ne se considérait pas en tort. Elle laissa donc le soin aux autres passagers de présenter leurs doléances et à Le Directeur le loisir de les envoyer paître.

Ce faisant, elle ne manqua cependant pas de scruter l'inconnu qui se tenait en retrait et qu'elle n'avait encore jamais pu observer jusqu'à présent.

Kerri s'avança de quelques pas pour venir se placer aux côtés de Grenat.

- "A partir du moment où ma survie est en jeu, je pense être en droit de savoir ce qu'il se passe sur cet engin déglingué."

Sur son visage, ses yeux verts brillaient de défi. Les poings sur les hanches, le menton légèrement levé, elle était l'image même de la colère. Elle aurait été certes plus coinvancante si elle avait partagé la carrure de Grenat ou du directeur, mais Kerri n'aimait pas être en reste. Et cette histoire commençait à lui courir sur le haricot. La jeune roublarde n'avait jamais vraiment brillé par sa patience, dont elle n'avait que rarement eu besoin.

Miran avait pour sa part attendu de voir ce qu'allait donner la suite des évènements. En effet il n'avait été que le guide mais sans savoir le fin mot de l'histoire n'ayant obtenu aucune réponse de Kerri, c'est donc avec curiosité qu'il souhaitait écouter la discussion qui allait suivre.

Cependant, leur hôte semblait bien mécontent de la tournure que cela prenait. En même temps il y avait une certaine urgence au vu de la situation. Le guerrier rentra dans la pièce et prît la parole tout en se dirigeant vers ses affaires, quitte à forcer le passage entre Diégo et le Directeur.

- "Je ne pense pas que nous ayons le loisir de discuter longuement. Il semblerait que tout le monde ici souhaite savoir comment s'en tirer et je n'ai été que leur guide pour venir obtenir ces réponses. Pardonnez donc mon impétuosité mais quel est le plan pour ne pas s'écraser ? Plus vite on le sait, plus vite on agit, car par défaut, qu'on on a du mal à voler il faut lâcher du lest et votre cargaison risque d'en pâtir si l'on à pas d'ordre."

L'homme d'arme récupéra ses affaires sur cette dernière phrase, évitant ainsi en cas d'urgence de perdre ses maigres possessions. Son discours était assez martial mais après tout c'était un peu le comportement que l'on attendait d'un soldat.

Etait-ce la candeur de Grenat ? Le sage silence de Tana ? La colère de Kerri ? Ou la synthèse plus diplomatique de Miran ? Le Directeur poussa un soupir presque rauque et se tourna à demi vers Diégo, désignant le groupe de sa paume ouverte.

- Regarde ! Ils craignent pour leur vie...

- J'ai tout sacrifié pour cette mission !

L'exclamation était plaintive. Au fond de sa cabine, Diégo campait sur ses positions et sa voix trahissait l'angoisse. En fait, il avait l'air de trembler de peur et de colère mêlées. Le Directeur tourna finalement le dos à Miran et ses acolytes, posant la main sur l'épaule de Diégo.

- Mais tu n'as pas tout perdu... Nous allons lâcher du lest mon ami. Si Le Théâtre sombre, alors tu auras sacrifié pour rien. Le plus important, c'est ce que tu sais.

Lentement, Diégo se laissa tomber sur sa couchette, les yeux dans le vide. Il hocha finalement la tête d'un air résigné, acquiesçant lentement. A peine ce geste terminé, Le Directeur se retourna vers le groupe.

- Très bien ! Les plus lourdes cargaisons doivent être jetées par la soute. Il ne faut ABSOLUMENT pas réveiller ce qui y sommeille. Célérité, délicatesse, force brute ! Glatus nous aidera ! Hop !

-Et si l'une des armes se réveille... Ne l'affrontez pas. Jetez la par dessus bord.

La voix de Diégo s'était raffermie, mais il n'avait pas quitté sa position. On pouvait lire dans ses yeux la résignation, mais aussi une forme de courage. Le Directeur, manifestement, n'avait plus de temps à perdre. Il agita ses mains devant lui comme pour demander qu'on lui fasse place, puis trotta prestement vers la cale.



HRP - Jet de persuasion du groupe : 20.

D'un hochement de tête, Kerri acquiesça silencieusement.
Elle ne voulait pas laisser l'occasion au Directeur de changer d'avis. La jeune femme s'éclipsa prestement de la cabine exiguë, et se dirigea vers la cale, où elle pourrait se rendre utile, et, espérait-elle, lancer le plus loin possible cette mystérieuse menace qui planait sur le vaisseau.

Elle prit tout de fois la peine de faire le détour par sa cabine pour reprendre son arc et sa rapière, avec la ferme intention de ne plus les déposer de si tôt. De toute façon, à sa grande surprise, plusieurs passagers allaient et venaient armés sans qu'on semble leur demander de comptes. Elle n'avait jamais beaucoup voyagé autrement qu'en compagnie peu fréquentable, et manquait de repères sur les manières convenables ou non. Quoi qu'il en soit, l'heure n'était pas aux politesses.