À l'ombre des oliviers

-Enchanté Sallavïn, répondit simplement Boréas en esquissant un sourire franc. Kyla, Podness, les saluat-il d’un geste respectueux de la tête. Je n’ai pu m’empêcher de noter vos habiletés respectives, continue-t ’il en faisant un clin d’œil à ce dernier. C’était charmant et impressionnant à la fois. Nul doute que les autres compétiteurs aient vu en vous de sérieux adversaires.
Moi y compris, bien que nous ne soyons visiblement pas en compétition directe.

-Pour répondre à votre question Sallavïn, je songe à concourir aux joutes et concours équestres ainsi qu’à celles d’herboristerie et de connaissances des bêtes, car je vise le poste d’instructeur d’équitation et de survie. Et vous-mêmes ?

Il fit une pause et se saisit d’une belle grappe de raisin muscat dont il picora nonchalamment les fruits pour permettre à Sallavïn de répondre sans pression, interrogeant également Kyla et Podness du regard.

À la réflexion pleine de mystères du gnome, Boréas haussa les sourcils et ses prunelles grises se tintèrent d’un soupçon fugace de tristesse. Bien que demeurant droit et souriant afin de ne pas attirer l’attention des autres convives, il lança une œillade circulaire lente, puis baissant instinctivement la voix il accorda son attention à Podness.

-Non je n’en ai pas entendu parler. Comment l’avez-vous su ? Est-ce une information officielle?
les intrigues de cours recommencent. Cela ne m'avait pas manqué dans la montagne...

Accueillant avec plaisir l'eau qu'on lui offrait, Sallavïn but sans arrière pensée en écoutant la réponse de Boréas. Ce n'était pas un rival direct, même s'ils seraient en compétitions sur certaines épreuve, ni sur leurs prétentions de tutorats... Enseigner l'équitation et la survie, ce n'était pas son truc.

-Je vais tenter de lui apprendre la discipline, l'art du combat chevaleresque et les notions qui s'y rattachent. Si la compétition ne concerne pas les connaissances et respects des dieux, la duchesse sait que j'y attacherai de l'importance dans l'éducation de l'enfant.

Réajustant sa ceinture pour empêcher son surcot de tourner autour de ses hanches en l'absence de maille, le sang-mêlé écouta le gnome faire ses révélation sans savoir s'il fallait s'en étonner ou pas. Des gens mourraient sans cesse mais...Vu la réaction du postulant éthologue et les murmures de Podness, cela ne devait pas être innocent.

La mort d'un être ayant vécu une vie digne n'est jamais triste. Rejoindre les dieux et servir à leur côté, qu'espérer de mieux ?

Pourtant, Sallavïn ne prononça pas à voix haute ses sermons. Peut être enseignerait-il cela à l'enfant, mais il n'était pas l'heure de prêcher, et le jeune homme ne s'en sentait pas capable. Et tout naïf qu'il soit, le chevalier comprenait que cette situation pouvait être un calcul politique malsain, alors autant en apprendre le plus possible.

Le nouveau-venu était vraiment une présence calme et rassurante. Quand il expliqua que ses domaines de prédilection concernaient les animaux et les plantes, Kayla ne put retenir un vigoureux hochement de tête en se rasseyant. Que Boréas soit un grand cavalier ne l’étonnait guère, les chevaux devaient adorer être montés par une personne aussi sereine, avec un physique aussi compact et sec. Elle-même n’avait aucun talent en la matière, ce qu’elle regrettait un peu aujourd’hui : savoir monter à cheval serait certainement très pratique pour explorer la région. Quand il lui retourna la question elle répondit naturellement, souriante :

- J’espère pouvoir lui enseigner la danse et la musique, peut-être aussi les langues. J’ai l’impression que peu de candidats parlant le cyrillan ont été retenus et il est quand-même plus aisé d’enseigner un langage à quelqu’un lorsque le professeur maitrise la langue maternelle de son élève, je crois.

Elle fit une pause, puis, pour rassurer Podness et Sallavïn, précisa :

- Oh, la duchesse m’a aussi dit que son fils connaissait quelques bases d’elfique et de cyfand, pas d’inquiétude à ce propos. Bien que je ne serais pas contre un poste d’interprète non plus !

Un rire franchit ses lèvres, juste avant d’être interrompu par la révélation du gnome. L’annonce effaça soudainement le sourire du visage de la jeune femme, peignant sur ses traits une expression de profonde tristesse. Le pauvre enfant avait perdu son père et d’autres membres de sa famille, en si peu de temps ? Et il devait succéder à sa mère dans à peine deux ans ? Était-ce bien raisonnable d’exiger autant d’un si jeune garçon ? Elle avait neuf ans de plus que le petit duc et elle se sentait à peine capable de se gérer elle-même, alors un duché complet… Elle secoua la tête, la détermination remplaçant l’affliction dans ses yeux :

- Même si je ne peux qu'imaginer ce qu'il ressent, je sais ce que cela représente, de perdre des guides, des êtres aimés, si tôt dans son existence et si je peux permettre au jeune duc de surmonter cette épreuve, j’y mettrai tout mon art, et ce dès demain !

Puis, se rendant soudainement compte que de telles disparitions n’étaient probablement pas dû qu’à un malheureux coût du destin, particulièrement en période de « paix », elle se rembrunit. Comme elle le pensait, la duchesse n’était pas paranoïaque, elle essayait juste de protéger sa famille et le destin de ses terres.

- Pouvez-vous nous en dire davantage, Podness ? Si je le peux, je voudrais sincèrement aider la duchesse et son fils…

Très insidieusement, une silhouette s’était glissée derrière le joyeux petit groupe, prétendant savourer une coupe de vin rouge pour laisser traîner ses oreilles à loisir.
Tandis qu’ils discutaient, Sallavïn eut la sensation très vive d’être observé. Il finit par se retourner pour découvrir Mercœur juste derrière eux. Suivant le regard du demi-sang, Boréas l’aperçut lui aussi, du coin de l’œil. Le barde leur adressa un petit sourire malicieux et leva sa coupe vers eux.

- Ainsi, vous ne saviez pas ? dit-il en s’immisçant dans la conversation.

Kayla et Podness sursautèrent à l’unisson, n’ayant rien vu venir. Mercœur leur adressa un clin d’œil amusé, et se baissa pour préciser sur le ton de la confidence :

- Le petit Timotheos a perdu un père, puis un frère en l’espace de quelques mois. Je pensais que tout le monde ici était au courant, ajouta-t-il en haussant les sourcils.

Podness écoutait attentivement toutes les informations qu'on lui donnait. Il comprenait pourquoi ils avaient été sélectionnés ! Motivés et compétents définissait bien leur groupe.

Ces trois là semblèrent sincèrement surpris et affectés par ses révélations. Soulagé de cette conclusion, Podness partageait leur affection, le souvenir de la duchesse encore vif dans son esprit. Naturellement, ils lui demandèrent plus de précision... ce qu'il était bien incapable de faire. Il allait pourtant répondre lorsqu'il fut surpris par Mercoeur.

- Mercoeur !? s'écria le gnome, qui ne pu cacher sa surprise.

Ce serait donc un fils de la duchesse qui serait mort également... Ce qui expliquerait pourquoi elle semblait si affectée quand elle m'en a parlé.

Podness avait du mal avec ce barde ! Contrairement aux autres, celui-ci dégageait un je ne sais quoi de faux... De l'animosité s'entendit dans sa réponse.

- Cette conversation était privée Mercoeur... Mais maintenant que vous êtes là, je vous en pris, éclairez nos lanternes de votre infinie sagesse ! Que savez vous de tout ceci ?

Lorsqu’il se fit réprimander, la bouche de Mercœur se tordit comme s’il essayait de contenir un rire.

- Ohoho, pardonnez-moi mon cher ! Je ne voulais pas vous offenser… Mais puisque je ne suis pas le bienvenu dans votre joyeuse bande, je ne vous dérangerai pas plus longtemps…

« Ce que je sais de cette affaire ? Pas grand-chose, je le confesse, dit-il en haussant les épaules. Mais vous avez de la chance, la plus grande commère de tout le Cyfandir se trouve parmi nous ce soir ! Vous devriez lui poser la question. D’autant que vous la connaissez déjà, ajouta-t-il avec un sourire énigmatique.

« En tout cas, murmura-t-il en se penchant – sans doute un peu trop près – de Kayla, vous pouvez me remercier de nous avoir débarrassé d’une rivale aussi notoire. Sa réputation n’avait apparemment pas franchi ces murs... Et dès que j'ai vu inscrit son nom sur la liste des candidats, je me suis fait un devoir d’y remédier.

Il se redressa, haussa les épaules à nouveau, puis leva sa coupe en direction du petit groupe.

- Au plaisir, les amis ! Je… dois encore tester cette autre bouteille là-bas.

Puis il s’éclipsa dans la masse des autres participants.

Un sursaut mal contenu agita la silhouette de la melessë, lorsqu’elle se rendit compte de qui venait les saluer : Mercoeur. Elle ne l’avait ni vu, ni entendu et la soudaine proximité du barde la mettait profondément mal à l’aise, si bien qu’elle se décala sensiblement vers Sallavïn, jusqu’à ce que son épaule touche le bras de se dernier, bien malgré elle. Elle remercia du regard Podness pour la réprimande polie, mais honnête, qu’il servit à l’opportun ! Malheureusement, ce dernier semblait plus amusé que gêné ou contrit et il s’approcha encore un peu plus, ses lèvres effleurant presque la pointe de son oreille, pour susurrer quelques mots.

Kayla frissonna, des pieds à la tête. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui lui fasse un effet aussi… Désagréable. Et elle savait bien que le serpent en jouait, se délecter de l’inconfort qu’il provoquait en elle. Elle ne le laisserait pas faire. Elle se tourna vers son confrère, un sourire aimable et doux sur ses lèvres, le bout de son nez si proche de lui qu’elle pouvait sentir le parfum de l’homme. D’une voix claire et tendre, mais qui ne souffrait qu’aucune répartie superflue, elle répliqua :

- Je vous remercie, Mercoeur, mais prenez garde à ne pas priver le duc de l'éducation qu'il mérite par votre sollicitude.

Dès qu’il se fut éloigné, une expression soucieuse et emprunte de sérieux remplaça l’amabilité coutumière des traits paisibles de la demi-sang.

- Pensez-vous qu’il parlait de l’halfeline que nous avons vu entrer pour l’entretien, plus tôt ? Elle avait l’air dépité, en en sortant… Peut-être que je pourrais au moins lui adresser quelques mots et voir si elle accepterait de nous aider à en savoir un peu plus ?

Un frisson parcouru Boréas à la découverte de Mercœur.
Oh la belle vipère. Il garda cependant son calme. Si le barde disait vrai, alors le jeune à instruire trainait déjà son lot de casseroles. Il était curieux de savoir de quelle façon la pression et le deuil simultané se répercuterait sur le tempérament du garçon. Aura-t-on affaire à un jeune tyran ou bien à un agneau défaitiste? Dans tous les cas, il y a fort à parier que l’apprentissage de nos disciplines respectives, additionnées aux attentes visiblement strictes de la duchesse puissent peser plus lourd encore sur jeunes épaules.
Ma foi, nous le saurons bien assez tôt.

Il ne put retenir son sourire aimable d’élargir discrètement le coin gauche de sa bouche, formant une mince fossette en croissant de lune sur le chaume de barbe grise rasée pour l'entretient mais qui repoussait déjà en cette fin de journée. Quelle théâtralité. À défaut d’être fairplay, cet individu-là avait le sens de la sournoiserie. Il allait falloir s’en méfier comme de la peste. La plus grande commère ? Mais de qui parlait-il ? À moins qu’il ne s’agisse de la jeune femme qui était sortie en larmes des entretiens.
Aucun doute cependant sur le détenteur du plus grand caquet.

Une fois l’oiseau de mauvaise augure éloigné pour le meilleur et pour le pire, Boréas interrogea Kyala du regard, avant de relancer Podness.
- Vous disiez ?

Ces gens lui inspiraient une certaine confiance. Ils avaient l’air de posséder la droiture d’esprit qu’il exigeait de ses apprentis comme des clients à qui il décidait de confier ses bêtes. Comme il s’y attendait, le jeune chevalier ferait donc partie des candidats aux joutes du lendemain. Il allait falloir trouver un moyen de donner un coup de pouce à Sallavïn, tout en se méfiant des yeux et des oreilles alentours. Il songea que c’était le genre de cavalier idéal pour Ravelle, sa jument de tête, une bête extrêmement fiable qu’il réservait à terme au jeune duc. Ou bien le jeune Syfar, tout juste débourré mais au caractère arrangeant et stable ?
Aura-t-on seulement le loisir de choisir ?
Gare au malheureux qui se verrait attribuer Björn-le-facétieux, de loin le plus difficile de la horde, car celui-là était son appairage naturel et son plus fidèle compagnon. Lui même aurait un bon avantage de départ quelque que soit la bête. À moins que les jeux soient truqués...
Car certains ont déjà l'air prêts à tout pour conserver leur place.
Boréas ne put empêcher son esprit de dériver vers ses bêtes. Comment donc les gens d’écurie comptaient-ils les préparer pour les épreuves s’ils n’avaient pas réussi à les sortir du pré?
On est pas sorti de la glace. Décidément la journée à venir lui donnait du souci. Un nouveau tour aux stables serait de mise avant d’aller se coucher.

L'intervention de l'autre musicien qui était subrepticement apparu dans son dos fit se froncer les sourcils de Sallavïn. Intervenir dans une conversation à laquelle on n'est pas convié, de cette manière, c'était tout à fait indélicat. Ses compagnons de soirée semblaient d'accord avec lui, lui réservant un accueil pour le moins glacial. Et pourtant, quelles informations il persiflait ! Alors que le beau diable se retirait et que sa consoeur s'interrogeait sur l'identité de celle que Mercoeur avait qualifié de plus grande commère du continent, le chevalier décida qu'ils ne trouveraient rien en fouillant sous le venin d'un scorpion.

- Personne ne nous cachera ce genre d'information si nous sommes engagés. Si nous ne le sommes pas, cela ne devrait pas nous intéresser...

Bien que ce soit intriguant... Le père et le frère, morts !

Sallavïn continua d'observer celui qui les avait quitté pendant un moment, cherchant à deviner les intentions d'un tel personnage. S'il avait été sélectionné par la duchesse, il devait disposer de qualités uniques... Peut être souhaitait elle le concours d'un intriguant tel que lui en fin de compte ? Y avait-il parmi les concurrents des gens engagés pour nuire à la famille Bracque-Croiset ? Portant instinctivement sa paume contre ce qui aurait dû être le pommeau de la garde de son épée, le jeune homme regretta amèrement son absence. Puis, il se retourna vers ceux avec qui il avait partagé l'eau, écoutant leur avis sur la question en se tenant en retrait.

Pod goûta avec un plaisir non feint, la façon dont Kayla remit le barde à sa place. De façon générale, l'accueil glacé qu'il reçu avait de quoi le refroidir ! Celui-ci finit d'ailleurs par partir, prenant le premier prétexte venu. Soulagé, Podness s'accorda même un soupir équivoque.

- Désolé... s'expliqua-t-il. Cet homme est d'un antipathique !

Puis, se tournant vers Kayla, et fit un signe de tête en direction de Mercoeur, qui disparaissait dans la foule.

- Gardez-le à l'oeil... J'ai bien peur que celui-là soit prêt à planter une dague dans le dos de celui qui aura l'audace de se mettre en travers de son chemin...

Sallavïn intervint, leur exprimant son avis avec sagesse et retenue. Si bien que les paroles de l'entretien revinrent en mémoire du jeune gnome.

- C'est exactement ce que m'a dit la duchesse... répondit-il.
" Une fois à son service, si toutefois nous réussissons les épreuves, ce dont je ne doute pas une seconde, elle nous expliquera elle-même tout ceci.

Puis, sur sa lancée, il désigna du doigt l'entrée de la propriété.

- Que diriez-vous si nous continuions cette conversation en nous dirigeant là-bas, pour nous inscrire aux épreuves ?

Un petit soupir franchit les lèvres de Kayla ; elle s'était un peu emportée. Peut-être que Mercoeur la rendait plus nerveuse que ce qu'elle croyait. Sallavïn avait raison, ils n'avaient rien à gagner à enquêter sur les soucis privés de la duchesse. De plus, au delà des éléments qu'il avait justement soulevé, il ne valait mieux pas suivre le serpent sur le chemin qu'il avait tracé. Une pensée qui ne la rassurait pas pour autant. Sur ces terres, il se passait quelque chose d'inquiétant et, tout doucement, un léger sentiment de menace distillait son frisson dans le dos de la melessë. Elle hocha la tête à la remarque de Podness :

- Je suis heureuse de ne pas partager sa tente ce soir. Soyez prudent vous aussi, messieurs.

Elle retrouva rapidement son sourire en sautant sur ses jambes :

- Oui ! Allons nous inscrire !

Écoutant les soupçons de chacun en estimant qu'il était trop tôt pour haïr quelqu'un, quelle que soit la désagréable impression qu'il dégageait, Sallavïn se dirigea à la suite de chacun silencieusement. Boréas semblait être fait d'un matériaux similaire au sien. En plus d'être assez petit pour un humain, il se tenait également plus franchement en retrait et n'avait pas le verbiage aussi facile que les autres. Tout en écrivant son nom à côté des épreuves auxquelles il comptait participer -c'est à dire toutes les épreuves physiques du premier jour ainsi qu'un récit une fois le soir venu, regrettant une fois encore de ne pouvoir briller par ses capacités lors du deuxième jour, il demanda au plus âgé du groupe :

-Un conseil à me donner pour les épreuves équestres ? J'avoue souvent manquer de finesse en la matière.

Lorsque le petit groupe s’approcha des colonnades marquant l’entrée de la Villa, il n’eut aucun mal à distinguer le scribe chargé des inscriptions (le même qui les avait accueillis aux portes du domaine) : trois participants attendaient déjà en file, dont le nain croisé précédemment. L’intendant se tenait tout près, supervisant le bon déroulement des choses.
Quand leur tour arriva, le scribe leur demanda – en cyrillan d’abord, puis en cyfand :

- Bonsoir ! Quel est votre nom, s’il vous plait ?

Il vérifia ensuite si chacun des noms figurait bien dans sa liste (sur laquelle une bonne quinzaine étaient barrés).

- Parfait. À quelles épreuves souhaitez-vous participer ?

L’homme leur indiqua deux parchemins où figuraient le nom de chaque compétition, en jolies lettres calligraphiées. Le premier était rédigé en cyrillan, l’autre en cyfand. On pouvait y lire :
« 1er jour : concours d’obstacles et dressage / tournois à l’épée / joutes équestres, tournois de tir à l’arc / représentations et expositions artistiques / récits de chasse et anecdotes guerrières.
« 2ème jour : épreuve écrite de traductions et calligraphie / épreuves orales de cultures et légendes étrangères / économie, mathématiques, gestion / histoire, géographie et politique / herboristerie, premiers soins et anatomie / connaissance des bêtes sauvages et abominations locales / Arcanes (histoire de la magie, fonctionnement théorique).

Lorsque chacun se fut inscrit, l’intendant fit signe à Boréas de s’approcher : « Puis-je vous parler une minute en privé ? »

Tandis que les deux hommes s’éloignaient en direction des écuries, le reste du groupe reprit la direction des jardins. Avant de parvenir dans la zone réservée aux invités, Kayla sentit une main se poser sur son épaule. En se retournant, elle se trouva nez à nez avec un notable d’un âge certain, au bras droit en écharpe et aux vêtements raffinés.

- Mademoiselle, pourrais-je vous dérober quelques instants ? demanda-t-il poliment.

Podness et Sallavïn se retrouvèrent bientôt en tête à tête, un peu perdus au milieu de cette foule. Sur la scène, une femme au crâne lisse dansait au son d’une flûte. Dansait-elle vraiment ? On aurait plutôt dit qu’elle combattait un ennemi invisible, au ralenti. Ses mouvements souples mimaient une scène de combat à mains nues. À la lumière des lampions, on distinguait son visage serein. Elle semblait coupée du monde, les yeux à moitié clos.
Certains participants avaient déjà « rendu les armes ». Le nain s’était assis, adossé contre une statue, et cédait peu à peu au sommeil. Lillya la gnome était même rentrée dans sa tente pour se plonger dans un livre. Et sur les tables du buffet, les aliments commençaient à se raréfier.

Alors… 1er jour représentations et expositions artistiques et récits de chasse et anecdotes guerrières, c’est bon. 2ème jour épreuve écrite de traductions ; calligraphie, épreuves orales de cultures et légendes étrangères ; herboristerie, premiers soins et anatomie ; connaissance des bêtes sauvages et abominations locales, je pense que c’est bon, j’ai tout !

Après s’être inscrite, ils n’eurent guère le temps d’échanger quelques mots avec Boréas que, déjà, un intendant l’attirait plus loin pour parler en privé, vers les écuries. Kayla pencha la tête, mais ne s’attarda pas plus sur cet évènement. Elle veillerait à lui glisser un mot d’encouragement avant les épreuves équestres de demain, ou à les lui faire passer par Sallavïn ou Podness, qui avait plus de chance de le croiser entre temps. Ils marchaient vers la zone des invités, quand une main la retint doucement. Elle se retourna vers un homme plutôt âgé, à l’allure très élégante et distinguée qui lui demanda de lui accorder un instant. Interdite, elle hocha la tête :

- Bien-sûr, je vous en prie.

Puis, prévenant ses compagnons, elle poursuivit :

- Podness, Sallavïn, je reviens ! Si je ne vous revois pas, ni vous ni Boréas, vous pourrez recevoir et transmettre mes plus sincères encouragements, pour demain ? Je veillerai à venir voir vos prouesses.

Souriante, elle se retourna pour suivre l’homme qu’elle reconnut bien vite comme étant le fameux Duc de Bracassay. Qu’est-ce qu’elle avait fait pour parler à deux membres de la noblesse Cyrillane dans la même journée ?

A son tour, Pod sortit un monocle de sa poche et le mit sur son oeil gauche. Ainsi équipé, il prit le temps de relire attentivement les parchemins afin de valider les épreuves où il se sentait le plus à l'aise. Pour chacune d'elle, il se repassa l'entretien avec la duchesse pour vérifier qu'il y était bien attendu.

Donc, 1er jour : représentations et expositions artistiques... Mais il va me falloir trouver des outils et du matériel !
2ème jour : épreuve écrite de traductions et calligraphie / épreuves orales de cultures et légendes étrangères / histoire, géographie et politique / Arcanes (histoire de la magie, fonctionnement théorique).
Oui, çà me semble parfait !

L'air de rien, le gnome chercha à repérer s'il voyait d'autres noms sur ses épreuves, surtout Mercoeur ou Lillya...
Une fois fait, il rangea le monocle à sa place, tapotant sa poche pour vérifier que tout était en ordre, puis rejoignit les autres. Boreas était déjà partit et voilà que Kayla prenait congé, apparemment sollicité par un invité de marque. Le gnome la salua, lui rendant ses encouragement pour le lendemain, puis l'observa s'éloigner quelques secondes avant de revenir vers Sallavïn, dernier de ses nouveaux amis.

- Eh bien... nous voilà plus que tous les deux !

Il avisa la danse de la moinesse et se perdit dans sa contemplation, murmurant au melessë, comme s'il avait peur de perturber l'envoûtante combattante.

- Magnifique n'est-ce pas ? Je n'avais jamais vu de démonstration d'arts martiaux avant... Les illustrations dans les livres ne comptent pas n'est-ce pas...

À la question qui lui fut posée sur le chemin, Boréas s’arrêta soudain devant Sallavïn, lui barrant résolument la route. Il le regarda droit dans les yeux, soudain émanant une sérénité enveloppante. D’abord un salut léger de la tête, puis une tape amicale sur l’épaule du jeune guerrier, il termina en lui mettant quelque chose de végétal et dur dans la main. C’est la base.

- Courtoisie. Flatterie. Pomme. Si cela ne fonctionne pas, recommence.

Puis il reprit d’un mouvement souple de talons sa place au sein du groupe pour se diriger nonchalamment vers la file des inscriptions. Il fredonna doucement sur un air de balade nordique, cependant sans se retourner :
- « Pied en armure, pieds sûr, œil azur, cœur pur, couronne de roi à le palefroi... »

Au guichet, il vérifia que son nom soit inscrit sur les concours équestres du premier jour, ainsi que dans celles d’herboristeries, de premiers soins et de connaissances des bêtes.

Il ne pouvait cependant s'empêcher d'être inquiet. Ses chevaux et leurs futurs cavaliers lui causaient du souci. Jamais alors il n'avait eut à laisser ses protégés à des inconnus et il craignait le pire. Même avec les meilleures intentions du monde et la technique appropriée, il arrivait que certains guerriers repartent bredouilles de son domaine.
Dans quel pétrain m'as-tu mis Vallia? Et pourquoi diable ai-je accepté?

Il s’apprêtait à rejoindre les écuries lorsque l’intendant vint le chercher à ce sujet. Il s'excusa poliment auprès de ses compagnons:
- Si jamais nous ne nous revoyons pas avant demain, bonne nuit et bonne chance à vous tous.

Qu'est-ce que ?... Une pomme ? Il observa l'objet avec une curiosité certaine, considérant qu'on venait de lui donner une leçon qu'il n'avait pas entièrement comprise... avant de remercier Boréas chaleureusement, tout sourire. Je dois me comporter comme il vient de le faire?

Pendant les inscriptions, Sallavïn fit tourner le fruit dans sa paume, avant de croquer dedans machinalement. Il salua Boréas d'un geste de la main pendant que ce dernier s'en allait, puis, constatant qu'il ne restait plus que Podness à ses côtés, il hocha la tête à la remarque du gnome, le regardant dans un sourire. Une drôle de paire...

Alors qu'ils approchaient de la scène, le son de la flûte et la danse de la femme rasée attirèrent également son attention. Ce type d'accoutrement ne lui était pas familier, ni cette façon de se mouvoir. Pourtant... Sous l'apparente simplicité des mouvements se cachait une maîtrise parfaite, que ne pouvait soutenir qu'un corps solide, forgé patiemment. En outre il était indéniable qu'une souplesse et une grâce particulière s'en dégageait et plus il l'observait, plus Sallavïn s'interrogeait sur les qualités martiales d'un tel art.

Comprenant enfin que la chorégraphie mimait un lent combat invisible, il s’imagina dans le rôle de l'opposant, cherchant comment affronter quelqu'un dont les gestes étaient si coulant, les passes si fluides. Je devrais le mettre à terre immédiatement ou l'immobiliser... songea-t-il, les mains sur les hanches, captivé, oubliant de formuler une réponse convenable pour Podness.

Il songea à ses entraînements : il savait encaisser les coups les plus solides, il pouvait rester droit et trouver la force de lever une arme même quand un bâton s'enfonçait dans ses cotes ou glissait sous son écu... Mais ses parents ne l'avaient pas formé à affronter de tels adversaires. Intéressant ! Sallavïn brûlait d'envie de demander à cette inconnue d'échanger quelques coups, mais c'était évidemment hors de propos dans de telles circonstances. Il attendit la fin pour applaudir poliment.

Une fois cette démonstration achevée, le melësse se dirigea vers elle pour la féliciter et lui demander son nom avant de prendre congé... Sur la scène.

-Bonsoir à tous ! Je prierai pour que le Forgeron observe les épreuves de demain et que les meilleurs gagnent. Que les justes soient victorieux et que les veules subissent son courroux !

Il frappa doucement son torse de son poing gauche en prononçant la prière que ses parents lui avaient enseignée pour châtier les serviteurs du Mal. Voilà, il se sentait mieux. Que les mal intentionnés s'en prennent à lui, désormais. Il sauta de la scène sans cérémonie, rejoignant son nouveau compagnon.

Pod ne se formalisa pas de l'absence de réponse de Sallavïn. Il semblait tout autant absorbé par la démonstration. D'ailleurs, le melessë n'était pas la personne la plus volubile qu'il ai connu, loin s'en faut.
Alors, lorsque la danse prit fin, Pod fut surpris de le voir se diriger vers la scène et féliciter l'artiste... Mais il ne s'arrêta pas là et fit une déclaration à la cantonade.

Par les dieux ! Que Pod pouvait détester çà... Parcouru de frissons, il fit un pas en arriere, se recroquevillant pour tenter de disparaître. Faites que je n'ai pas à me produire ainsi en public ! pensa-t-il.

Il fut tenté d'aller se réfugier dans sa tente, mais se retint, par respect pour son compagnon. Celui-ci le rejoignit d'ailleurs d'un bond, souple.

- Comment faites-vous... ? lui demanda-t-il simplement.
" Je veux dire... C'était très bien ! Merci pour cette perle de sagesse... conclu-t-il en elfique.

Haletante, elle arriva non loin de la scène. Il y avait moins de monde qu’auparavant, doucement, un à un, les participants allaient se coucher. Pourvu que Podness et Sallavïn soient encore là, ou Boréas revenu. Heureusement, la foule éparse lui permit très vite de repérer l’étrange duo et elle s’approcha d’eux d’un pas vif. Elle essayait de sourire, mais tout dans sa posture, du mouvement de sa marche à la pointe de ses oreilles, trahissait subtilement son bouleversement intérieur. Le visage du duc face à son refus avait distillé un profond malaise chez la jeune femme, que les retrouvailles avec ces deux compagnons ne suffirent pas à dissiper, malgré ses espoirs.

- Je suis heureuse de vous retrouver, j’avais peur que vous ne soyez déjà couchés.

Elle hésita, reprenant légèrement son souffle, une main posée sur sa poitrine. Devait-elle leur parler de son échange avec Bracassay ? Elle en avait envie, mais était-ce leur rendre service que de faire cela ? Quoiqu’il en fût, la foule ne lui inspirait plus confiance. Elle releva la tête, un nouveau sourire impeccablement tissé sur son visage angélique.

- Je crois que j’ai besoin de jouer un peu à l’écart, je me sens fatiguée, mais pas du tout prête à dormir. Si vous avez envie de modestes démonstrations de lyre, j’ai grand besoin d’une aimable compagnie… Enfin si vous n’être pas trop épuisé après la journée, surtout vous Sallavïn, je m’en voudrais de vous priver de votre repos avant demain !

La danseuse, en descendant de la scène, fut surprise mais heureuse de recevoir les félicitations d’un rival.

- Merci, lui-dit-elle simplement, avec un sourire franc.

Elle s’exprimait en Cyfand avec un fort accent que Sallavïn, malgré tous ses voyages, ne parvint pas à identifier. Il savait au moins que l’artiste ne venait d’aucun pays qu’il avait traversé.

- Je m’appelle Lian Trinh, dit-elle ensuite. Enchantée.

Elle s’inclina légèrement – d’une étrange façon, en plaçant le tranchant de sa main devant son front – puis s’en fut. Le jeune chevalier fut alors tenté de monter sur scène pour faire une déclaration. Si le public n’était pas très attentif pendant la première partie, un grand silence tomba sur l’assemblée lorsque Sallavïn monta d’un ton, jetant un froid sur la fête. Tous les yeux se tournèrent vers lui, dans l’expectative. Certains exprimaient l’inquiétude, d’autres l’incompréhension.
Et lorsque les gens comprirent que son discours n’était pas destiné à se poursuivre, deux individus isolés lancèrent des exclamations enthousiastes en faveur du Forgeron, trois autres applaudirent vaguement, puis les conversations repartirent comme avant.